Le vol de la mort, Adolfo Perez Esquivel, prix Nobel de la Paix (24 mai 2009)

Le terrible procès destiné à faire taire l’opposante birmanne Aung San Suu Kyi, montre bien, s’il en était encore besoin, que les prix Nobel de la Paix, sont très souvent très maltraités dans leur propre pays, comme l’illustre le récit qui suit: 32 ans après, Adolfo Perez Esquivel, argentin, prix Nobel de la Paix 1980, raconte le jour où les dictateurs argentins ont tenté de l’assassiner, par défénestration d’un avion. Habitant le 14ème, Francis Gély, ami du prix Nobel de la Paix 1980, a transmis ce récit à La Voix, qui le publie pendant les trois jours qui viennent. Troisième partie:

Je me souvenais des compagnons et des compagnes du Serpaj, de mon fils aîné, Leonardo, de sa résistance et de son travail pour la défense des droits des peuples; il était très jeune et avait beaucoup d’enthousiasme et d’engagement pour accompagner les organisations qui émergeaient du drame que vivait le peuple. Je me souvenais de ceux qui donnaient leur vie pour donner la vie et qui, de l’endroit où ils se trouvaient, résistaient avec dignité, comme ce groupe de femmes (de la Place de Mai) avec lesquelles nous partagions la douleur, la résistance et la force de la prière oecuménique. Elles surmontaient toutes les barrières culturelles, idéologiques et politiques, unies pour savoir où l’on avait amené leurs fils et leurs filles. Nous avons appris à tisser des réseaux solidaires.
Pendant ce temps intemporel, sans dimension, le vol de la mort continuait, jusqu’à ce que le pilote dise à voix haute: “Je reçois l’ordre d’aller à la Base Aérienne de Moron avec le prisonnier”. Alors, l’avion longe la côte et se dirige vers la base de Palomar. C’est un édifice peint de couleur jaune déjà un peu délavée par le temps. L’avion atterrit sur la piste et stationne près de cet édifice. Je reste avec le gardien armé. Le pilote et les officiers se dirigent vers l’édifice. Je ne sais plus combien de temps cela dure, sans doute plus de deux heures; je crois que c’est alors qu’on décide ce que l’on va faire de moi. La pression internationale était intense, pression des églises, des gouvernements, des organisations sociales et culturelles et des organismes internationaux.
Quand le pilote et les officiers reviennent, ils disent: “Soyez content, nous vous amenons à la prison U9, la Nouvelle Unité”; je crois bien que j’ai été vraiment content qu’ils me conduisent en prison, car l’autre alternative, c’était la mort.
En ce jour du 5 mai de l’année 1977, j’ai rendu grâce à Dieu et à la vie de pouvoir continuer la lutte et la résistance dans l’espérance. Je sais que cette lutte et cette résistance ne sont toujours pas terminées. Il faut continuer malgré toutes les erreurs commises comme, par exemple, la remise du patrimoine du peuple à la voracité des entreprises internationales et toutes les trahisons de ceux qui ont vendu notre pays. Il faut récupérer les valeurs, l’identité, le sens de la vie et la dignité de notre peuple. Pour que ceux qui ont donné leur vie pour donner la vie, dans leur lutte et leurs espoirs, ne l’aient pas fait inutilement.
32 années après, il faut continuer à construire dans l’espérance. Malgré tout.
Adolfo Pérez Esquivel.
Buenos Aires, le 5 mai 2009.

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