(III) Les chemins de traverse : la Tombe Issoire (21 octobre 2009)
Toute droite, la rue de la Tombe Issoire a la maigreur sèche des ascètes éblouis. Un corset d'immeubles aux fenêtres étroites étouffe ses velléités d'émancipation juvénile. Souvent, il y fait noir, parfois soleil. Et la nuit, au creux des anfractuosités pierreuses, tous les rêves des étoiles se rencontrent à la recherche d'un nid douillet, propice aux voyages interstellaires.
Au pied d'un mur, fait de pierres sauvages et rudes, on voit une tapisserie de plantes grimpantes et frissonnantes où s'essouffle le vent dans l'air frais du soir. L'on voit aussi des vélos et des autos, jouets abandonnés au hasard du caniveau et attendant leur délivrance. Un jour, un enfant rieur et espiègle leur fera peut-être faire un tour de manège tout autour de la Terre, pour mieux vérifier que la porte de la liberté ne reste pas infranchissable.
Si on lève la tête, on voit dans le ciel des graffitis tracés avec le pinceau blanc des nuages. Ils nous font des signes, des sortes d'entrelacs sculptés, bas-reliefs qui se trouvent déposés sur la tombe fantôme du géant Isoré qui, il y a longtemps, est passé par là, après avoir succombé à un combat surhumain et inégal. Sur le mur d'une école voisine, son effigie monumentale et disproportionnée défie la pesanteur et l'harmonie du lieu.
Rue de la Tombe Issoire, il y a des chiens qui promènent leurs maîtres, des maîtres qui sont perdus dans les rêves de leur chien, tandis que sur la ville, la pluie pleure sa détresse de chien perdu.
Beaucoup plus loin, là où la rue hausse ses épaules, les grands réservoirs de la Vanne retiennent l'eau de Paris, qui fait sa toilette, qui lave ses légumes, qui fait briller ses trottoirs. Ici, l'impur se laisse sombrer au fond de vastes bassins d'eau claire et chantante. Et les grands réservoirs ont l'air de beaux et grands châteaux-fort, qui depuis longtemps défendent du haut de leurs mâchicoulis invisibles, les portes toujours ouvertes de nos soifs insatiables.
Oui, la rue de la Tombe Issoire est la plus antique, la plus mélancolique que nous a léguée Lutèce. Elle se souvient qu'elle fut bucolique en un temps lointain où ici, le chemin d'Orléans croisait les « Hautes Bornes », sommet à partir duquel le versant orienté en direction de la vallée de la Bièvre, conduisait le regard vers les hauteurs de Ménilmontant, et plus près, vers les îles, au milieu du fleuve qui enfanta notre cité, tandis que la colline de Montmartre nous invitait à visiter le lointain horizon de la Plaine de France.
Chacun de nous est un peu l'héritier de la rue de la Tombe Issoire. Elle retient sur le balcon vieilli de l'Histoire, les pas du flâneur où viennent mourir les vagues hésitantes de notre mémoire soumise aux coulées d'une poussière volatile.
R.R
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