Musée du Montparnasse, (18 décembre 2009)

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Maria Pilar Armanet, Ambassadeur du Chili, Jean Digne, Président du Musée du Montparnasse, Frédéric Roulette, Directeur de la Galerie Les Singuliers présentent:

« Sensacionalismo infinito », une aventure chilienne à Paris, du Grupo Montparnasse au Huemul dans la ville,
le lundi 21 décembre à 18 h

Mario Murua retrouve Montparnasse avec Luis Vargas Rosas,
Roberto Matta, le groupe Image Magie

Musée du Montparnasse 21, Avenue du Maine 75015 Paris
Métro : Montparnasse-Bienvenüe (sortie n°2)

Pour la troisième fois consécutive, le Musée du Montparnasse et la Galerie les Singuliers s’associent pour nous proposer, dans le cadre des Lundis du Montparnasse, une exposition exceptionnelle d’artistes cosmopolites, engagés, dont l’oeuvre entre en résonance avec l’esprit frondeur du Montparnasse d’avant-guerre.

En ce moment où, selon une logique paradoxale, la « globalisation » ranime les crispations nationales, voire régionales, il
nous paraît d’autant plus important de revisiter et redécouvrir les oeuvres de ces artistes étrangers marqués d’une vraie
singularité souvent exogène à leur sensibilité et à leur héritage culturel propre. Tous les trois venus du Chili pour s’installer à Paris pendant les differents moments du XXe siècle - Luis Vargas Rosas, Roberto Matta, Mario Murua – s’engagent dans un combat passionnant contre l’académisme et l’art officiel basé sur les canons strictement européens pour dessiner les formes d’une nouvelle avant-garde et encourager les expressions plastiques libertaires. Leur recherche artistique est picturale, identitaire et ethnologique. Choisissant de séjourner et de travailler dans ce milieu culturel en pluriel, ces artistes s’affirment, avant tout, en devenant soi-même dans un pays choisi mais jamais entièrement adopté. En revanche, se retrouvant à nouveau dans leur pays d’origine, ils prennent le rôle des apôtres de nouvelles tendances artistiques du moment. C’est dans ce sens que Luis Vargas Rosas a fondé en 1923 le Grupo Montparnasse à Santiago du Chili en regroupant des artistes chiliens qui ont fréquenté le milieu artistique du Quartier du Montparnasse à Paris, et quelques années plus tard l’Académie Libre dont Roberto Matta sera un des jeunes élèves. Après un bref passage dans l’atelier de Le Corbusier, Matta abandonne l’architecture et devient une des figures emblématiques du surréalisme. La rencontre de Matta avec le jeune Mario Murua, son fils spirituel, à Londres en 1976 sera pour ce dernier un moment incontournable. Leurs oeuvres, libérées de toutes les contraintes académiques, loin de la perspective mimétique et du rationalisme pur d’homme occidental, affirment leur identité libertaire en se nourrissant toutes entières de leur univers individuel, de magie surréaliste, de visions sensationnistes ainsi que des symboles tirés des cultures et des religions archaïques sud-américaine.

Exposition du mardi 22 décembre 2009 au dimanche 3 janvier 2010
Vernissage le lundi 21 décembre de 18 h à 22h

Ouvert tous les jours sauf lundi de 12h30 à 19h
Musée du Montparnasse - 21, Avenue du Maine 75015 Paris
Métro : Montparnasse-Bienvenüe (sortie n°2)

La Galerie les Singuliers
les – singuliers@orange.fr
la Galerie les Singuliers
138, Boulevard Haussmann 75008 Paris

00 33 (0)1 42 89 58 38 / (0) 6 33 68 97 30

Mario Murua à propos de l’exposition « Sensacionalismo infinito »
« De l’histoire subalterne, nous n’en sommes qu’une partie, partie dont nous ne sommes qu’une portion, et de
cette portion nous ne sommes encore qu’un bout, bout dont nous ne sommes qu’une poignée de poussière. Cette poussière
mêlée à l’eau reçoit le feu qui accrédite la céramique de l’âme des Sudakas. Je le dis en raison du caractère ancestral et
anonyme de la poterie sud-américaine, cette poterie où abondent les formes. Ces céramiques peuvent se briser, mais peu
importe : il reste encore les moules de ces formes si logiques de la terre mère, des formes qui ressemblent à celles de
Tamayo en volume, entremêlées des lois de la couleur d’un Jesus Soto.

Ainsi naquirent les différentes écoles au sud du Rio Grande, histoires d’émigrations, de convictions spatiales. Il
faudrait lire les déclarations théoriques d’un Mario Pedrosa sur les avant-gardes de Felipe Noe et son Groupe pour
comprendre à quel point celles-ci ont laissé une trace, jusqu’au point de créer une communauté de pensée de l’art dans ces contrées. Le groupe Montparnasse du Chili, qui cherchait à se dégager des approches théoriques du corps et de la lumière, approches qui sont toujours en vigueur dans le monde de la peinture. Paris, à cette époque, était la ville de l’art. Tous ces jeunes venaient apprendre les nouvelles théories qui révolutionnaient la peinture comme le Cézanisme.
Les bateaux nous transportaient alors d’un monde à l’autre. Aujourd’hui, l’espace cybernétique a arrondi les angles,
mais selon moi les fondements demeurent, c’est-à-dire les anthropophages Brésiliens qui, en raison de l’article 8 de la
déclaration Tupi of not Tupi, furent taxés de surréalisme. Repérés et revisités, on reconnaît aujourd’hui qu’ils ont fondé un
nouveau territoire. L’apport de chaque génération successive a ouvert des mondes, en relation avec une histoire subalterne, qui pour être périphérique n’en recèle pas moins un grand nombre de surprises.

En ces jours où l’on apprend à penser de manière cosmopolite et mondiale, la jeunesse réalise des installations, là
où à l’époque on avait une pratique picturale liée à la couleur et à la lumière, à la morphologie et à la géométrie. Les points
de vue de Berni et de Torres García sont intéressants à étudier. La beauté de chaque génération tient à une conscience
artistique venue de terres lointaines. J’ai vu de mes propres yeux les vieilles pierres de Tihuanaco, de San Agustín, de
Monte Albán, de mon île de Pâques. L’installation de la Porte du Soleil, à Tihuanaco, est parfaite. Je dirais même qu’elle
est immémoriale, c’est le summum d’une manière d’oeuvrer, de penser et de sentir propre à nos terres, avec ce sens du
soleil et de la manière de l’attraper dans son espace virtuel. Ce qui est une histoire subalterne en art change lorsqu’il s’agit
de métaux et d’économies mondiales puisque de nos jours, la mécanique mercantile est devenue la dure loi de la vie. L’or,
l’or et encore l’or, une histoire maudite comme tous les conflits dans le monde. C’est ainsi que l’histoire des échanges
culturels à partir du XVe siècle est une histoire de vols ininterrompus, un destin qui est encore pratiqué avec l’impudeur
des systèmes de coercition et de décoration dignes des meilleurs films d’action. Est-ce un destin pour tous ces peuples ?
Pour un pays comme le mien, qui possède à lui tout seul la moitié des réserves mondiales de cuivre ? Ces anciens peuples
qui, de l’observation des étoiles, inventèrent des calendriers quasi parfaits. Ils savaient une foule de choses dans tous les
domaines de création, chaque communauté potière possédait un style différent et bien marqué, mais tout est si amalgamé
aujourd’hui que l’on étiquette le tout de culture sudaka, ce qui pourrait se rapprocher d’une culture actuelle dans son
acception la plus large, sans tenir compte des limites topologiques d’une histoire subalterne qui ne pourrait relever ni de la
raison de l’eurocentrisme ni des aspirations actuelles de la peinture.

Nous avons toujours appartenu à la planète. Les peintres paysagistes du XVIIIe siècle montraient déjà des animaux bizarres, des rivières houleuses, des gens en habits colorés. On dit qu’il faut 19 ans pour apprendre à parler à un perroquet. Un perroquet vit cent vingt ans. Lorsque les Sudakas de notre génération arrivaient à Paris, il leur fallait trois ans pour se rendre compte qu’ils n’appartenaient pas à cette civilisation. Au bout de cinq ans, ils connaissaient déjà les règles de l’assimilation ou de la dissidence intérieure en tant que désobéissance à un système d’assimilation parfaite. Ils avaient appris à coloniser l’étranger. C’est ainsi que Matta s’intégra au surréalisme, comme il le disait alors que les premiers manifestes avaient déjà été prononcés. Il parlait plusieurs langues et, lors du débarquement surréaliste à New York
durant la Seconde Guerre mondiale, il établissait les liens entre ce que serait et était l’Amérique plurielle, de l’Alaska au
cap Horn. Son apport théorique et pictural est celui d’une manifestation tellurique venue d’un pays de volcans.
Nous, les jeunes générations d’après, émigrées à cause des caricatures historiques que nous avons vécues en ce qui
touche aux droits fondamentaux, nous qui sommes arrivés entre les années 70 et les années 80, nous avons connu une
communauté latine encore forte en tant que communauté pictural car les systèmes d’information étaient encore
rudimentaires. Faire un catalogue collectif, participer à une exposition thématique était monnaie courante dans une vie de
peintre et d’artiste, dans un Paris à l’ancienne.

Par la suite, la rhétorique, la philosophie publicitaires se sont accentuées. Signe du changement d’époque, on
s’est accroché au discours philosophique, à la primauté de l’idée comme pratique du métier. On le constate aujourd’hui à
travers l’acceptation d’un genre d’art dit mondial, on le remarque à un accent muséal anglo-saxon et à la manière dont les
historiens de l’art « mondial » pro-européanisent leur discours. On le voit à travers les pourcentages résiduels des chiffres,
les volumes de ventes et la cote des bourses de commerce. En cela, je suis d’accord, mais lorsqu’il s’agit de notre histoire,
attendons que des gens compétents éclaircissent l’affaire. A partir des années 80, l’art cherche une autre issue, une autre
forme.
Notre irresponsabilité était bien sûr une irresponsabilité historique à ne pas tenir compte des nouvelles lois de l’art
mondial, fabriqué comme une machine parfaite et autonome, lié aux pouvoirs de la communication et de l’argent, au
système que l’on nous préparait. Le système de la rapidité à fabriquer des modes pour les faire disparaître aussitôt.
Comme le dit Mercedes Iturbe, notre groupe Magie Image fut créé avec la complicité secrète des peuples d’Amérique.
Il resta dans la peinture. Nous n’avons pas fait de déclarations théoriques, nous nous en sommes tenus à un travail
d’atelier. Il existe mille pages de catalogues à la disposition de ceux qui, dans le futur, seront convaincus qu’il existe une
autre voie que l’eurocentrisme. La communauté organique du latinisme américain existait à l’Espace latino-américain, le
Centre culturel mexicain de Mercedes Iturbe. Chaque époque apporta ensuite sa contribution. Des critiques comme Roberto
Pontual ou Damian Bayon ont répertorié cette époque. Je parle de gens que j’ai connus, je ne veux pas oublier la
documentation que pourraient trouver ceux qui comprennent qu’en Amérique latine on écrit l’histoire avec la main pour
l’effacer ensuite avec le coude. Mais au bout du compte, les modes nous ont assaillis de tous les côtés, voilà ce qui s’est
passé. Le système s’est refermé, est devenu plus aristocratique. La sélection technologique par le biais des marques, les
formes de la médiatisation liés aux fameux prix fut ce qu’il y eut de plus intéressant. Ou l’on pénétrait dans un cercle de
protection sociale ou l’on se perdait dans le baba-coolisme du sacrifice personnel propre au romantisme picturale. La
navigation sociale d’un Toledo ou d’un Cuevas est bien sûr la même, dans deux mondes qui cohabitent au sein de cultures
millénaires. Cela peut se produire au Mexique, où l’abondance historique ne rompt pas avec le passé, comme cela se
produit au Chili en vertu d’une idéologie minutieuse de l’oubli. Ce que l’on perd par là, c’est l’animal et, dès lors, il
nous faut commencer à penser en humain afin de comprendre les chemins scabreux de l’histoire subalterne, des histoires
subalternes pour les émigrations historiques.

Quelle est la mécanique de ce qui est plié sous une autre couche page théorique dans mon propre discours ? C’est le
système actuel de cristallisation sociale dont parlait le vieux marxisme. Il existe une génération alternative qui travaille à partir de l’hallucinant des mondes parallèles, qui accommodent d’autres stratifications historiques et picturales où le mélange est syncrétisme ou sensation vertigineuse de provenir de l’autre côté. Je veux dire qu’entre un Bolaño et un Rubén Darío, beaucoup d’eau à coulé sous les ponts, beaucoup d’eau a été fumée.
Les académies d’aujourd’hui sont une affaire à étudier en raison de leurs mécaniques de culturation. Il n’est pas étonnant
que ce qui vient de dehors soit maltraité par les officiants qui perdent des élèves. C’est ce qui arriva à Luis Vargas Rosas
lorsqu’il retourna au Chili, alors que régnait encore la vieille école espagnole. Comme dans un film de kung fu où un
maître en défie un autre afin d’enseigner aux élèves à frapper, l’homme ouvrit sa propre école, puis réussit à devenir
directeur du musée national des Beaux-Arts. Ce fut peut-être un apport cézanien, une sorte de coup de lumière propre à ce néo-cubisme porté à ceux qui n’avaient pas brisé toutes les règles. Ils avaient senti le souffle du siècle. Vargas Rosa fit au Chili un apport substantiel, lui a appris à sortir du corps et s’occuper d’énergies. Son élève Matta alla plus loin encore. Au point qu’il sortit de la planète. Pourtant, il fut trahi dans son pays. Il arriva triomphant d’Amérique, proposa une
collection de tableaux de ses amis pour faire un musée, mais on l’ignora. C’est ainsi que le Chili perdit l’occasion de
posséder un des plus beaux musées du monde, plein de peintres surréalistes et abstraits de la première heure. C’est
pourquoi, chaque fois que nous parlions des questions concernant le Sud, il me disait que ce pays serait une république
dans quatre cents ans.

Il m’est arrivé à moi-même une histoire hallucinante. Après mon exposition personnelle au musée national des Beaux
Arts, Nemesio Antunez n’avait pas de fonds pour m’acheter un tableau. Il me demanda d’en offrir un, ce que je fis, à une
seule condition : qu’il soit exposé. L’affaire fut conclue. Le directeur qui lui succéda s’empressa de le décrocher. Les
guerres d’académie ne sont pas terminées. Nous gagnerons si nous parvenons à apporter un disque dur plus libertaire et
transparent. Pour résumer, le capital humain et historique qu’ont apportés les différentes générations de peintres a
toujours été lié aux embrouilles qu’ils avaient avec leur société. Lorsqu’on commencera à étudier les histoires subalternes
et périphériques, nous arriverons à la sage conclusion à laquelle était arrivé notre Maître Simón Bolívar Simón Rodríguez :
étant très doués pour copier, le mieux est de copier nos propres inventions. »

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