Bagneux, une antique paroisse (11 avril 2013)

Aux confins des marches de la grande ville, une rumeur lointaine amplifie la sensation d’avoir abordé une autre rive.

Nous sommes au cœur d’un vieux village étouffé par les pieuvres des H.L.M de banlieue. Ici, les vieux murs murmurent encore de vieilles légendes où se mêlent les voix de paysans disparus, lorsque les refrains du passé se joignent aux musiques du présent.

Le long des façades de petits immeubles modestes, les ombres de rares passants glissent dans la lumière que retiennent les crépis lézardés. L’ennui suinte à travers les croisées poussiéreuses, jusqu’à humecter les toits d’un halo humide et froid.

Jadis, des pampres vermeilles festonnaient les clôtures des jardins. Aujourd’hui,  des ceintures successives de béton, rétives à toute émotion visuelle, ceinturent de médiocres jardinets anémiés. Ici, on dirait que les rues ne conduisent nulle part. Elles semblent toutes se persuader que le centre du village est le seul point où la vie n’a pas encore abdiqué ; cependant, derrière les murs qui courent le long  des trottoirs minuscules, on pressent que la sueur froide de l’oubli est à l’œuvre en s’écoulant vers le pavé luisant et indifférent de la chaussée.

Encore quelques  pas et l’on sort de la ruelle. Alors, une église apparaît. Sur le tertre primitif, elle a grandi à la mesure du modeste village dont elle était la protectrice. Saint Hermeland retient les effluves des prières de l’office dominical. Les chants et l’affliction du pécheur viennent mourir sur la petite place de la République. Rapprochement étrange où le XIIe siècle se marie avec douceur à celui des Lumières, par la proclamation solennelle d’une fragile égalité, jointe à la fraternité partagée dans une liberté respectueuse de chacun.

Devant la petite porte de l’église ouverte à la ferveur de la prière, je crois reconnaître ces pèlerins transfigurés comme autrefois, par l’attente de l’amour qu’ils espèrent et  du pardon que le Christ leur promet.

Mais il faut s’éloigner un peu de la place centrale pour aborder le souvenir à peine effacé de l’ancien village, en remontant la rue des Fossés. On se trouve soudain arrêté, intrigué par un porche imposant, presque ostentatoire en ce lieu  qu’on attendait modeste. Il précède une demeure  qui appartenait sans doute à une notabilité de l’époque. On peut lire sur le mascaron de l’entrée : « Clos des Sources 1622 ». La majesté du portail nous impressionne par le silence qui s’en dégage. Silence d’un deuil, silence d’un passé qui surgit. Le regard du flâneur est surpris. On s’attend à ce que le bâtiment caché derrière résonne de cris d’enfant, de rires, de musiques, des joies propres aux fêtes villageoises d’antan.  Non, seuls les pavés de la venelle semblent écouter l’air sifflé par quelque passant distrait.

Aujourd’hui, le vieux village est l’unique témoin du temps qui a fui. Les vignes qui y étaient abondantes, les moissons qui prospéraient alentour se sont retirées. Sur la frontière de ce minuscule empire, ont surgi des tours, des barres de béton. Celles-ci s’alignent au loin, en désordre, insolentes et squelettiques silhouettes enchâssées dans une fausse grandeur morne, où l’âme du paysage a perdu son parfum. La tristesse nous enveloppe de ses flots gris.

Il faut sortir de la vieille enceinte moyenâgeuse pour découvrir le chemin des Monceaux : un terrain assez vaste en friche, pour imaginer ce que pourrait être la renaissance d’une future forêt vierge…

Hélas, les chants défunts de l’ultime symphonie pastorale se sont tus. Certains soirs d’automne, ils murmurent encore quelques notes perdues, recueillies par le tapis humide des feuilles mortes. Une musique mélancolique se lève alors, allumant la douceur d’un feu dans le cœur du flâneur, impatient de glaner les trésors oubliés du passé. Mystère d’un lieu, mystère de l’évocation apprivoisée qui retient l’œil du promeneur attentif aux ultimes échos du soir.

R .Rillot

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