Le caïman : les voies de la satire (05 juin 2006)

medium_le caiman.jpgQuand le film de Nanni Moretti est sorti, annoncé comme virulente critique de Silvio Berlusconi, celui-ci était encore au pouvoir. Le film a tout de suite soulevé l'enthousiasme. Mais, après la chute de Berlusconi, certains ont pensé qu'il n'était plus utile de dire que le film était bon. Nous avons donc d'autant plus de plaisir de le dire ici. N.D.L.R

 

« Le Caïman » fait partie de ces films dont on ne décèle pas toutes les qualités à la première vision, mais qui vous hantent discrètement, et donnent envie de les revoir. C’est une œuvre très originale, qui juxtapose intelligemment et sans esbroufe plusieurs thèmes et différentes techniques narratives.


La séquence d’ouverture, éblouissante, nous plonge au beau milieu d’un de ces films de genre envahis de meurtres sanguinolents, popularisés par le cinéma italien sous le nom de giallo. C’est l’occasion d’introduire le héros de l’histoire, Bruno, producteur spécialiste de ce genre de films, qui traverse une sombre période  : sa femme et lui se séparent, et il n’a eu aucun projet sérieux depuis dix ans – si ce n’est «le retour de Christophe Colomb », qui vient de lui passer sous le nez. Sa seule consolation est de conter à ses deux petits garçons les aventures improbables d’Aidra, héroïne de ses productions.

Lorsqu’il reçoit d’une apprentie cinéaste un scénario, ses déboires personnels expliquent qu’il tarde tant à voir ce qui saute aux yeux du spectateur le moins averti – c’est-à-dire n’ayant pas ouvert un journal ou regardé la télévision depuis trente ans – à savoir qu’il s’agit d’une biographie de Silvio Berlusconi. 

On peut être dérouté par le mélange de genres, qui promène le public de la parodie de série Z au film politique, du conte noir à la romance. Cet aspect touffu n’amoindrit pas la satire, au contraire. Elle passe par l’éveil à une forme de conscience du producteur, jusque-là fort indifférent à la politique. 

De plus, en jouant sur les images d’archives (le vrai Berlusconi), les visions nées de la lecture du scénario, où apparaît Elio de Capitani, les répétitions avec Michele Placido, et enfin le résultat final (le rôle étant cette fois-ci tenu par Nanni Moretti), le réalisateur nous invite non seulement à une réflexion politique, mais aussi à une promenade dans le processus de création cinématographique. Les comédiens lui servent de complices : Silvio Orlando, exubérant et nuancé, Margherita Buy, surprenante, Jasmine Trinca, très crédible en réalisatrice débutante.

Josée Cathala

Un film de Nanni Moretti, au Gaumont Alésia et aux Sept Parnassiens.

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