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20 décembre 2010

Tibhirine: lettre écrite par le seul survivant des moines à Loic Pichon

Loic Pichon est le comédien qui incarne frère Jean-Pierre, dans le film "Des hommes et des Dieux" de Xavier Beauvois. Frère Jean-Pierre est maintenant le seul survivant, des moines de Tibhirine; il nous a autorisé de publier sa lettre.

Cher Loïc

       Permets-tu que nous nous tutoyions puisque par ton labeur pour bien comprendre ma personnalité, puis pour bien l’interpréter nous sommes devenus proches l’un de l’autre et comme des frères ?

         Merci de tout cœur pour ta lettre qui m’a beaucoup touché. C’est vrai que je suis tout ému de savoir que j’ai été l’objet de tant d’attention. En effet cela nous rapproche intimement. Le travail que tu as fait t’a beaucoup appris sur toi-même et sur la façon de considérer l’humanité. Comment ne pas s’en réjouir avec toi ?

         Nous venons de recevoir 1 CD du film, envoyé par les bons soins d’Etienne Comar. Nous n’avons pas tardé à le visionner sur notre appareil… en compagnie des sœurs de la communauté voisine et de quelques hôtes en retraite dans notre monastère. Tout le monde le trouve très beau et bien fidèle à ce que nous avons vécu dans ces 3 dernières années terribles pour tout le peuple Algérien.

Moi-même je l’aime beaucoup. Je me demande comment vous qui n’êtes pas des religieux vous avez pu entrer dans la vie et dans l’âme des moines et les reproduire comme vous l’avez fait : c’est vraiment merveilleux : la relation familière avec les gens, le rôle du  frère médecin, la vie fraternelle en communauté, et surtout  le drame vécu ensemble avec le cheminement des uns et des autres sous la direction du supérieur et dans le travail intime de la grâce divine, vers l’unanimité pour le choix de rester...

Ce qui m’émerveille encore beaucoup, moi qui ai été longtemps animateur du chant et des offices divins, sais-tu ce que c’est ? Tu vas être surpris : la qualité « priante » que vous avez su donner dans votre comportement et votre manière de chanter à la chapelle, le choix des chants et des prières, des exhortations du supérieur ; à mon avis tout cela est remarquable de justesse… Cette relation à Dieu aussi durant le temps où chacun avait à se situer devant la réponse à donner à la question de rester et de partir, l’expression des visages ! tout cela ne saurait être mieux exprimé…

Je vous en remercie. Je crois que là se trouve un des nœuds de la qualité du film qui avait à exprimer l’âme des moines et leur drame… que c’est beau ! Je vous en félicite…. Sais-tu à quoi j’attribue  cela ? Je crois que l’Esprit-Saint a été à l’œuvre discrètement dans vous cœurs… durant ce travail fourni par chacun pour entrer dans l’esprit des religieux et dans ce qu’ils ont eu à vivre… sans parler bien sûr des contacts que vous avez eu à Tamié et avec des personnes proches des moines.

         Moi aussi, en t’écoutant, en te regardant dans ce rôle où tu me représentais, j’ai appris des choses sur moi. Cette assurance que j’avais dès le départ, dès les premiers questionnements, me venait de loin… dès le jour où s’est décidé mon entrée au monastère… en Bretagne, à Timadeuc, des signes m’avaient été donnés concernant la Trappe de Tibhirine, alors que jusque là j’ignorais jusqu’à son existence… J’y ai été envoyé en 1964 pour participer à la relance alors que le monastère était en instance de fermeture après la guerre d’Algérie…Sur place, à plusieurs reprises, je me suis trouvé sur le fait du choix à faire, rester ou partir ? L’exercice de cette épreuve n’était donc pas neuve au moment crucial qu’évoque le film. En entendant les paroles que tu as citées et en te voyant évoluer et réagir, je me suis demandé si je n’étais pas un peu trop sûr de moi, si ça ne venait pas trop de mon propre fond au lieu d’être tout disponibilité à Dieu qui est le maître de nos vies.

         Merci Loïc…. Prions l’un pour l’autre pour qu’il en soit vraiment ainsi, qu’il soit Lui, le Seigneur et l’Ami de nos vies…

Je t’embrasse, Frère Jean-Pierre

 Ps. Je garde ta lettre en souvenir de tout ce vécu

Frère Jean-Pierre a autorisé la publication de cette lettre