29 mai 2007
Un « grand homme » des missions : la mère Javouhey (3 / 4) )
[ Le temps de bonheur de la Mère Javouhey ]
" Le temps d'Afrique devait être, pour la mère Javouhey, malgré les difficultés innombrables, un temps de bonheur et de plénitude. Elle était là où Dieu la voulait. « J'aime les Noirs, disait-elle, ils sont simples et bons. Ils n'ont de malice que celle qu'ils tiennent de nous. Il ne serait pas difficile de les convaincre par l'exemple. » Donner l'exemple aux Noirs, faire d'eux des chrétiens ; tel allait être son seul but, et, pour y atteindre, les aimer d'un grand amour.
Ce que devait faire cette femme, ce qu'elle devait inventer, préludant aux réalisations de l'avenir, est incroyable. Alors qu'il advient que de très grands missionnaires — tel saint François Xavier — soient uniquement des défricheurs, des pionniers, la mère Javouhey était une bâtisseuse. Elle savait concevoir de vastes desseins, mais elle était aussi loin que possible des chimères, en paysanne de Bourgogne, peu encline à prendre des vessies pour des lanternes.L'hôpital était en délabre ! Elle le remonta.
Les Noirs souffraient du mépris des Blancs? Malgré tout ce qu'on put lui dire, elle décida que chez elle tous seraient également traités, sans distinction de peau. Les mœurs, à la colonie, étaient déplorables? Elle créerait, elle, en pleine brousse, une exploitation agricole où les cultivateurs vivraient en communauté, dans l'honnêteté et la loi morale. L'idée même que saint François Xavier avait eue aux Indes — mais dont elle n'avait jamais entendu parler —, celle de préparer un clergé indigène, cette femme de génie l'eut aussi ; elle fit mettre sur pied, en France, un séminaire indigène, où trois jeunes Sénégalais furent envoyés, firent leurs études, arrivèrent jusqu'au sacerdoce : l'un d'eux, avant de rentrer en Afrique, célébra même la messe devant le roi Louis-Philippe, à Fontainebleau. Quand la bonne mère dut se rembarquer pour la France, plus d'un millier de Noirs l'accompagnèrent au port ; on en vit qui baisaient la trace de ses pas.
Ce que fut dès lors l'activité de cette femme dépasse l'imagination. A toutes les demandes qui lui étaient adressées, il lui paraissait impossible de ne pas répondre : Présente I Les sœurs à la robe bleue s'en allèrent donc aux quatre coins du monde, à Cayenne, à la Martinique, à Pondichéry, à Madagascar, en Océanie, à Saint-Pierre-et-Miquelon. Et la mère fondatrice était toujours prête à s'embarquer pour aller donner un coup de main à une fondation naissante.
[ En Guyane : la Mana ]
Non qu'elle fût bien à l'aise sur les bateaux : elle souffrait mort et passion du mal de mer. Mais, disait-elle entre deux crises, « la mer et son mal ne me font pas plus peur que la terre ». — « C'est mon plus vieux matelot », s'écriait un jour l'amiral Tréhouart en la voyant si ferme au milieu des tempêtes. Soixante mille kilomètres ; tels furent ses records !
Dans ce palmarès étonnant de succès, s'il fallait en choisir un, celui qui s'imposerait à l'esprit serait celui de La Mana. La Mana est une rivière de Guyane qui débouche dans l'Antlantique un peu au sud du Maroni. Le pays, mal connu, mal famé, n'avait rien de plaisant. Une chaleur lourde toute l'année, des pluies énormes, des fièvres, des insectes, des serpents. On y cultivait médiocrement le manioc et la banane ; des aventuriers, plus ou moins bandits, y cherchaient l'or. Cela ne paraissait pas offrir un cadre bien aimable à une installation de religieuses. Quant aux hommes... un ramassis d'Indiens, de Noirs, d'Européens sans foi ni loi. Pourtant, quand le gouvernement demanda à la mère Javouhey d'aller faire en Guyane une fondation, pas un instant elle n'hésita, et, le 26 juin 1828, elle s'embarqua à Brest avec une véritable expédition de neuf sœurs, vingt-sept converses, et trente-neuf collaborateurs laïques, avec femmes et enfants, au total, cent personnes.
lle installa son monde aux bords de la Mana, sur les ruines qu'avaient laissées deux tentatives avortées d'implantation de village. Son but était de faire, comme au Sénégal, une colonie agricole modèle, où les Noirs vivraient en communauté. Pas très différent, en somme, de ces « réductions » que les jésuites avaient faites naguère sur les bords du Paraguay. La tentative semblait impossible. Les autorités de la colonie s'attendaient à voir les travailleurs se soulever quelque jour et massacrer tous les Blancs. Paradoxalement, cela réussit. On défricha la savane, on planta manioc et bananiers ; on fit venir des troupeaux ; un port fut bâti sur la rivière, avec chantier de construction et docks ; une église même se dressa, somptueusement appelée la cathédrale.
Sous la ferme direction des religieuses, la vie était bien réglée : tout le monde assistait à la messe du dimanche ; le soir, on faisait la prière. Cette réussite étonnante dura environ trois ans, sous cette forme. Le gouvernement de Louis-Philippe s'intéressait peu à la Guyane. Mais quand la loi de 1831 eut supprimé l'esclavage dans toutes les terres françaises, la mère Javouhey fut sollicitée d'accueillir les esclaves noirs que la marine de guerre enlevait sur les navires de traite et à qui la liberté était rendue.
«La mère Javouhey ! dit le roi Louis-Philippe, c'est un grand homme. » ]
Elle accepta, et aussitôt forgea un plan grandiose : on ferait venir des femmes d'Afrique ; on créerait des villages noirs, à la tête desquels une religieuse serait placée. Lamartine, alors ministre, s'enthousiasma pour les projets de sa compatriote bourguignonne. Et, de fait, les villages sortirent de terre ; les anciens esclaves se mirent au travail : La Mana se développa. Telle était cette femme de Dieu, pionnière des missions. Quand elle revint en France, rappelée par le développement même de son institut, les journaux lui firent fête. On se montra dans les rues de Paris cette alerte sexagénaire en robe bleue dont le visage rosé et frais riait à l'ombre de la coiffe. «La mère Javouhey ! dit le roi Louis-Philippe, c'est un grand homme. »
Et sur les barricades des journées de juin, là où tomba Mgr Affre, elle put aller tranquillement, coiffe flottant au vent, croix d'or sur le plastron blanc : « C'est la générale Javouhey », dit un des émeutiers. Dans sa chère Mana, son souvenir était demeuré : lorsque la république eut décidé d'en faire un bourg libre, c'est-à-dire d'y imposer l'administration des communes françaises, une révolte éclata que seule réussit à calmer la mère Isabelle, au nom de la mère Anne-Marie. Et quand on dit aux Noirs d'élire un député, on eut beau leur expliquer que les femmes n'étaient pas éligibles : ils votèrent en masse pour la mère Javouhey."
(à suivre) Daniel Rops, (Dans « L’Eglise des Révolutions ») [Histoire de l’Eglise tome X, pages 261 et sq ]
09:20 Publié dans 7- Chrétiens dans le 14e | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Eglise, missions, Afrique, Guyane, La Mana | Facebook | | Imprimer |
Les commentaires sont fermés.