12 mai 2008
Le sourire du vieil homme
Presque rien. Un regard. Une plainte dans son regard . L’ébauche d’une supplication. Il est là , assis à l’angle que fait l’avenue Jean Moulin avec la façade de la banque HSBC et d’une pizzeria. Il est là presque tous les jours, mais surtout le dimanche matin. Il sait qu’il rencontrera ce jour-là quelques paroissiens allant à la messe à l’église Saint Pierre de Montrouge.
Il tient à la main une timbale en plastique. Il attend . Il regarde autour de lui . A chaque passant, il adresse de la tête un bonjour timide. Il ne parle pas français. Il se débrouille pour dire merci lorsque quelqu’un dépose une pièce de monnaie dans sa timbale . Ce que je fais . Alors, de sa main restée libre, il m’envoie des baisers, en dodelinant de la tête. Il me sourit. – Il fait beau ce matin, lui dis-je. Il ne comprend pas. Je continue : - Il y aura du soleil toute la journée-. Il ne répond pas ou plutôt marmonne quelques syllabes qui ne me disent rien. Brimborions de paroles , bouées de sauvetage inaccessibles pour le naufragé.
Cette existence n’attire pas l’attention. Seul, son regard m’interroge. Il s’en échappe une fièvre, celle d’une souffrance intime. Se souvenir de cette souffrance. Présence insoutenable de cet être abandonné. D’où vient-il ? Les marées de l’existence l’ont déposé là, à Paris, sur la plage glacée d’un trottoir, au mois d’avril 2008. Oui, il faut se souvenir, qu’il y a sur cette terre un vieil homme qui cherche à comprendre son naufrage , au milieu de la multitude, au milieu d’un océan de regards qui ne regardent pas, qui ne voient pas, passants qui ne s’arrêtent pas. S.O.S , il y a un vieil homme qui attend. Attendre quoi, quand on n’a plus rien, qu’on se trouve nu. Innocence de l’homme qui ne connaîtra jamais plus le désir de vivre, le désir d’aimer. Rien… Le vieil homme, ce soir, aura dans sa timbale juste de quoi grignoter un peu de jambon. Demain, à l’aube, le soleil, lui donnera peut-être une chance : celle de s’asseoir à l’angle de l’avenue Jean Moulin. Une oasis , son oasis, son jardin, presque une raison de vivre, une raison de sourire à ceux qui lui sourient .
Ce soir, le vieil homme continuera de lire le livre ouvert de sa vie, à la lumière de son indicible souffrance.
R.Rillot
06:00 Publié dans Sans domicile | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sans domicile, Paris 14, 75014, pauvreté | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
Il y a quelques années, un jeune homme vendait des dessins et dessinait à la craie sur le trottoir au même endroit.Il parlait avec beaucoup de monde. Je l'ai vu l'autre jour à la poste , totalement transformé, vêtements, coiffure. Il a évité de se faire remarquer de mon regard. Le retour à la "vie normale" se fait dans la fuite, pour oublier la "galère". L'esclavage intemporel: celui de la rue.Des associations se pencheront peut-être sur le nouveau venu, avec l'intérêt des riverains, pour lui rendre sa dignité, comme celui qui s'en est sorti.C'est beau un homme qui retrouve une liberté de mouvement...
Écrit par : Marie | 12 mai 2008
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